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Tunisoise N° 1 : P a r a p l u i e

Parapluie voguant d'un pavé à l'autre, il jacte amèrement les larmes de l'hiver dernier, déambule au gré des couloirs, muet, somnambule et sans logorrhée . L'automne s'attarde, les rues encore brûlantes palpitent aux échos de l'incartade estivale . Dans le silence général des cieux, deçà les brises sèches de l'automne, le parapluie se recroqueville au fond des tiroirs; cette année lui sera timide et casanière. Après chaque fugue , furtive et salutaire, rebrousse chemin et retrouve le moisi des halls sans fins. Moi, j'ai pris, mon parapluie et dévisagé des figures, des formes et des sueurs, me frayant un chemin parmi les fourches de la ville. Je l'ai empoigné, en ai fait une canne et me suis laissé guidé par ses envies.
On a quelque peu ri de moi, j'étais l'intempestif du trottoir, le vilain du mois d'aout, le fou de la saison. Mon parapluie, maintenant brisé, témoigne des heures de vagabondage, sous les yeux haineux des ruelles.
Aux milles effluves tunisoises d'hier, sur les glissades de la ville, on a semé des graines vilaines, posé de noirs drapeaux, obscurci ses lueurs jaunâtres. On a souillé ses vadrouilles vespérales. On en a fait des courses sans foi. On a dressé de terribles minarets  et foudroyé les coeurs de leurs pieux, par une foi nouvelle, marinant une pestilence orientale méconnue dans notre savoureuse ambroisie berbère. On a couché des lignes obliques sur du mauvais papier, sali, piétiné de sinistres versets par un encre maudit…Longtemps ensevelis, des mots; des rébus d'un autre âge se sont faufilés dans nos doctrines. Nos dogmes en sont biaisés, nos muscles ramollis de peur.   
Tunis est, hélas, un parapluie noirci malgré le beau temps, sec et assoiffé. Les parapluies de la terre n'envient plus ses vieilles demeures en verre, ni sa grandeur ternie. Ses élans putrides sont maintenant de vaines étincelles, désertés des muses, oubliés de Dieu.

Tunisoise N° 2: T i r e l i r e

Au fond de la tirelire, retentit le son d'une première pièce. Son bronze éclatant, tout chaud, tout sorti de la banque se confond au noir de la chambre. Demain matin, les enfants iront débourser le surplus de calories, piétiner leurs souliers, tout neufs, tout brillants. Les pièces finiront dans les mains d'un vendeur de friandises à la langue amère. A seize heure, dans le vaste brouhaha des sorties de l'école, la bouche astiquant les divines douceurs, l'âme des tirelires, fière et le dos bien droit se pavanera dans les cours de l'école…
Mais vous savez, compagnons accablés par la moiteur des pages, que les limbes où nous expédions nos enfants ne se nourrissent que des pêchés que nous leur aurons inculqué. La gourmandise est un leurre planté en l'honneur de l'enfant-roi, tout engraissé, bien rôti dans la marmite bourgeoise.  Les tirelires demeurent généralement immobiles et à l'heure où foisonnent la châtaigne, leurs petits sous s'en vont ça et là.
Caprices juvéniles ! Qu'elles disent les petites gens, entassées dans de splendides salons, vantant, dans un élan quasi-balzacien, les dotes précoces de mademoiselle ou les infortunes anticipées du damoiseau…
Dieu des nymphes, Dieu des voiles, je me suis planté de chronique. J'ai balbutié mes consonnes, j'ai bafouillé mes ides ! Les tirelires, ma foi, ne se baladent point, du moins pas leurs âmes, dans les poches du mesquin . Elles sont là, inertes, joviales quand pleines, Elles fredonnent les claquements des pièces; des percussions aiguës et résonnantes qui redonnent le sourire au visage enfumé de l'enfant-carne…pas engraissé…pas rôti du tout…le loulou….

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